Denise, ex-aidante :
« On a trop souvent perdu l’humain à un moment-clé »
Denise Lauprêtre raconte comment elle a vécu le diagnostic de sa maman, il y a 24 ans. Elle compare cette situation qu’elle a vécue avec celles d’aidants qu’elle accompagne aujourd’hui, en tant que bénévole France Alzheimer.
Denise Lauprêtre, 68 ans, est présidente de l’association France Alzheimer et maladies apparentées de Seine-Saint-Denis. Comme beaucoup de bénévoles de l’association, Denise a été aidante, de sa maman notamment.
« Le diagnostic est tombé en 2000, ma mère avait alors 75 ans », se souvient-elle. «Il y avait des signes, mais toute la famille était dans le déni. Elle avait offert deux fois le même cadeau à mon fils, il y avait des produits périmés dans le frigo… Mais nous avons été ramenés à la réalité quand ma maman n’a pas reconnu la voisine et qu’elle lui a dit qu’elle habitait à telle adresse, soit l’adresse de son enfance. »
« Enveloppés par des mains chaleureuses »
Le processus médical s’est ensuite enclenché. « Le plus difficile, ça a été les tests. C’était vraiment très dur, c’était émouvant. J’étais présente. Je me souviens du test de l’horloge, qu’elle a raté, bien évidemment. Je me suis rendue compte que ma maman ne savait plus faire plein de choses. Ça nous a mis un coup. Et puis, un premier neurologue nous a parlé de Parkinson. Alors là, ça nous a replongé dans le déni. On était heureux que ce n’était pas Alzheimer, alors que tout indiquait que c’était ça. Un peu plus tard, un médecin nous a dit que ce n’était pas Alzheimer mais corps de Lewy. Je me revois écrire “accord de Lewy” dans mon petit carnet et dans ma grande ignorance. À l’époque, on n’en savait pas grand-chose. Et puis, assez rapidement, on nous a dit que c’était les deux, Alzheimer et corps de Lewy, et que c’était une forme agressive. »
Malgré ces couacs dans le diagnostic – c’était aussi il y a 24 ans -, Denise retient que c’était très humain, que l’encadrement a été parfait. « C’était incroyablement bienveillant. À l’hôpital de jour, pendant que ma maman avait son rendez-vous médical, on s’occupait aussi de nous, les aidants. Mon père et moi étions reçus. Il y avait un véritable suivi. Nous étions enveloppés par des mains chaleureuses. Cela faisait du bien. »
« Mettre l’accent sur les capacités préservées »
De son point de vue, celui d’ex-aidante et de présidente de France Alzheimer Seine-Saint-Denis, Denise Lauprêtre estime que l’accompagnement durant le diagnostic et le suivi ne se sont pas améliorés depuis 2000. Bien au contraire. « On a bien souvent perdu l’humain à un moment-clé. J’entends parfois quelques bons exemples, mais globalement, ça s’est empiré. Aujourd’hui, l’annonce du diagnostic est généralement brutale. Le neurologue dit quasiment à la personne malade et à l’aidant qu’ils doivent déjà songer à l’Ehpad. Nous, de notre côté, quand les familles viennent nous voir avant le diagnostic, on leur conseille de demander au neurologue ce qui peut encore fonctionner, les capacités qui peuvent encore marcher. C’est important de mettre l’accent là-dessus pour penser l’après, notamment pour éviter les conflits et puis pour bâtir le futur et imaginer les activités qui peuvent encore être organisées. Mais des retours que nous recevons, on ne peut pas dire que cela se fasse souvent. »
Autres problèmes : le délai pour obtenir un rendez-vous, qui peut être de plusieurs mois, et les annulations du rendez-vous de diagnostic à la dernière minute, parfois la veille. « C’est angoissant pour les familles. Et puis, le suivi est catastrophique. Le neurologue dit bien souvent qu’il n’y a rien à faire et puis, il ajoute qu’il faut reprendre rendez-vous dans six mois. Autant dire qu’il se passe un an entre les rendez-vous. C’est quoi, ça, comme prise en charge ? C’est au neurologue de fixer le rendez-vous suivant et ne pas faire reposer la charge sur la personne malade et l’aidant. C’est inadmissible. S’il s’agissait d’un cancer, le médecin programmerait les examens et fixerait lui-même le rendez-vous suivant. »
C’est pour cela que Denise Lauprêtre dit que la maladie d’Alzheimer est gérée « comme un fait social, comme l’état des routes, et non comme une maladie ». « Dans notre département, les neurologues ne disent même pas qu’il y a des associations comme la nôtre qui peuvent aider les familles. Et ce n’est pas faute de le demander lors de réunions avec les hôpitaux. C’est tout ce que je demande : que le neurologue, le psychologue ou l’assistant social dise à la personne malade et à l’aidant d’appeler France Alzheimer et, au rendez-vous suivant, de leur demander s’ils l’ont fait. Ils ne disent bien souvent pas non plus qu’il faut déposer une demande pour l’APA, pour la carte CMI… Ils sont trop souvent lâchés dans la nature, abandonnés. Le psychologue et/ou l’assistant social pourrait le faire, mais même ces rendez-vous-là ne sont pas toujours honorés dans notre département. »
Sylvain & Agnès :
“Le diagnostic, ça secoue, alors autant le recevoir en douceur”
Mal accueillis dans un premier hôpital, Agnès et Sylvain
ont rencontré une autre neurologue, qui a eu une autre approche,
plus humaine. Cela a changé leur vie.
« Le diagnostic est tombé il y a deux ans, c’était en février 2022 », se souvient parfaitement Agnès, des Hauts-de-Seine, qui accompagne son époux Sylvain, 61 ans.
Le couple a tout d’abord vécu une mauvaise expérience, dans un hôpital parisien. « Le neurologue nous a dit : ” Il y a quelque chose qui ne va pas, on ne sait pas ce que c’est, revenez dans un an “. Bon, nous étions tout de même inquiets et nous ne pouvions pas attendre. Alors, grâce à une relation, il faut bien le dire, nous sommes allés voir une neurologue dans un autre hôpital à Paris, Sainte-Anne, et là, ils n’ont pas lâché Sylvain. On les a vus quatre fois entre octobre 2021 et février 2022. Ils nous ont pris par la main. C’était quelque part rassurant. Je suis très reconnaissante envers l’hôpital Sainte-Anne et son équipe. »
Et finalement, la neurologue a livré le diagnostic de maladie d’Alzheimer, en février 2022, même si deux autres services de neurologie de l’hôpital n’étaient pas d’accord pour déjà l’annoncer, notamment parce qu’il y aurait peut-être une autre pathologie en latence. « Il faut dire que Sylvain en était à un stade prodromal », glisse Agnès. « Je pense aussi que la neurologue a annoncé le diagnostic pour le préserver. Il travaillait encore et il était en difficulté dans son poste à responsabilité. D’ailleurs, elle lui a dit : ” Ne vous inquiétez pas, vous êtes maintenant en arrêt de travail “. Et au bout d’un mois, Sylvain m’a dit qu’elle avait eu raison. C’était, au fond, professionnel et humain de la part de la neurologue. »
« Besoin d’une réponse claire, pour aller de l’avant »
« Je me souviens aussi de cette période, comme étant une période de grande confusion au début, ce qui augmentait le stress », relève Sylvain. « C’était terrible parce que nous n’étions pas dans le déni au moment de voir les médecins. J’avais besoin d’une réponse claire, de savoir ce que j’avais, pour aller de l’avant. À Sainte-Anne, la neurologue a finalement sifflé la fin de la récréation et elle a pris ses responsabilités. J’aurais souhaité un diagnostic plus sympathique, bien évidemment, mais je ne voulais pas non plus me voiler la face. »
« J’ai été quelque part soulagée quand le diagnostic est tombé », glisse pour sa part Agnès. « Je me suis dit que je n’étais pas folle, que je voyais juste, et puis, cela nous a permis de penser à la suite. Nous avons aussi pu le faire parce que nous avons été – et nous le sommes toujours – très bien accompagnés par toute une équipe. »
À l’hôpital, une équipe très humaine
Agnès parle d’équipe parce qu’au-delà de la neurologue, d’autres personnes de l’hôpital ont aidé le couple. « Quand nous allons voir la neurologue, le rendez-vous dure une heure. Elle répond à toutes nos questions.
Et puis, il y a l’assistante sociale qui répond aussi à toutes nos questions. Au premier rendez-vous, elle nous a dressé la liste des
choses à faire et notamment le dossier de l’APA parce que mon mari avait alors 59 ans et qu’il valait mieux le remplir vite, ce dossier, avant ses 60 ans. Et puis, cette assistante du service nous a également donné la liste des associations qui pouvaient nous aider. Ils sont très réactifs. Quand nous avons une question ou une demande pour une prescription, nous recevons une réponse, au pire, le surlendemain. »
Sylvain acquiesce. « Quand on se prend ce diagnostic en pleine face, même si on s’y attend, ça secoue. Alors, autant faire en sorte que cela se fasse en douceur. À Sainte-Anne, ils ont été très humains, et ça a été extrêmement important, aussi à cause de tout l’administratif que cela engendre et de la charge que cela représente. »
Du jour au lendemain, Sylvain a arrêté de travailler. « Ça a été un soulagement pour moi. Ça n’allait plus. J’avais d’ailleurs fait un burn-out deux ans avant et ça m’avait abîmé. Finalement, le diagnostic, je l’ai vécu comme une étape franchie. Ça vous permet de trouver des moyens de changer de vie, de penser l’après. Si on reste dans l’ignorance, on tourne en rond. Le diagnostic, quand cela se passe en douceur, ça ne rassure pas le malade, mais ça l’aide à tracer son chemin. On sait à quoi s’en tenir. Alors, après avoir passé cette étape, l’étape des savants, ma femme et moi n’avons eu qu’une seule envie : retrouver un peu de sérénité. La maladie est là, elle va évoluer, le plus lentement possible, je l’espère, mais je peux encore faire des choses. »
Le couple a rangé des projets, pour en imaginer d’autres
Grâce à l’ESA, le couple est entré en lien avec France Alzheimer Hauts-de-Seine. Avec l’association, Sylvain joue notamment au ping-pong à Issy-les-Moulineaux. « Il est vrai que les perspectives s’étiolent, mais disons plutôt qu’elles sont différentes », glisse Agnès, qui travaille encore. « Nous approchons de cette période de la vie où nous pourrions profiter plus de notre temps. Mais si voyager sera par exemple plus compliqué pour nous, nous avons adapté nos plans. »
« Nous avons acheté une résidence secondaire dans un bel endroit, en Bretagne, dans le sud du Finistère », sourit Sylvain. « C’est une perspective qui me plaît, qui nous plaît. Je veux profiter de la vie, me faire plaisir et faire ce que j’aime faire. Ça fait partie des remèdes. La santé, ce ne sont pas que des IRM et des bilans sanguins, c’est aussi le bien-être, et pour moi, pour nous, se retrouver, dans la nature, en bord de mer. Se faire plaisir, ça fait partie des soins. Ça, c’est ma trajectoire, notre trajectoire. »
Sylvain conclut : « Vous savez, je n’ai pas sombré, aussi parce que l’on n’a pas de souci d’argent, il faut bien le dire, et surtout parce je suis bien entouré : par mon épouse et par nos enfants. Je mesure bien ma chance. »